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NADIA

LEGER

Les débuts de Nadia

1904
1925

Officiellement, Nadia Khodossievitch est née le 23 octobre 1904 dans un village des environs de Vilnius. Nadia passe son enfance à Zembino en Biélorussie. La jeune paysanne dessine avec fougue. Pour assouvir cette passion, elle a très vite conscience qu’elle ne pourra s’exprimer qu’en s’émancipant de sa terre natale.

À l’âge de 15 ans, à Smolensk, elle suit les cours de Wladyslaw Strzeminski. C’est là qu’elle rencontre celui qui influencera toute son oeuvre, le fondateur du suprématisme : Kasimir Malévitch.

De cette époque date sa première toile, Presse-papiers, une oeuvre cubiste qui témoigne d’une remarquable maîtrise des formes et de l’harmonie des couleurs.

Imaginez une petite paysanne du Cantal qui serait élève de Marcel Duchamp !

Maurice Torez

Parmi ses premières peintures, La jeune fille aux nattes, 1921, au fusain, et La jeune fille suprématiste, 1922 à la gouache.

La jeune fille est douée et elle restitue avec talent quelques esquisses intitulées Mouvement de formes ou Triangle dans l’espace déjà imprégnées de ce qui est alors la quintessence de l’art abstrait. Mais la jeune Nadia n’a qu’un rêve : Paris, capitale mondiale des arts et de la culture. D’autant qu’en feuilletant une revue française, L’Esprit nouveau, elle a découvert les oeuvres d’un certain Fernand Léger. C’est une révélation et elle décide d’aller à sa rencontre. Son passage à l’Ouest transitera par la Pologne où elle restera quatre ans. Elle intègre les Beaux-Arts de Varsovie et épouse le peintre Stanislas Grabowski. Le couple d’artistes arrive à Paris en novembre 1925.

À la conquête de Paris

1925
1930

La reconnaissance d’un talent

En décembre 1925, après avoir traversé toute l’Europe, Nadia pousse la porte de l’Académie moderne où Fernand Léger est professeur. C’est le peintre Amédée Ozenfant qui accueille la jeune femme. La rencontre avec Léger aura lieu trois ans plus tard.

Nadia fait partie de la génération d’artistes venus de l’Est qui, dans les années 1920-1930, en France, vont profondément bouleverser les grands référents artistiques. Elle vit dans une pension de famille du Quartier latin.De 1925 à 1930, les différentes influences sur l’oeuvre de Nadia sont perceptibles. Ses toiles poussent très loin l’abstraction, que ce soit dans un style cubiste ou géométrique-puriste proche d’Ozenfant ou encore en s’inspirant des formes biomorphes d’Arp. Toute son oeuvre est imprégnée de ce qui sera à cette époque le plus fantastique des ateliers d’artistes : le Paris de l’entre-deux-guerres.

1929

Nadia, peintre de l’avant-garde

La jeune artiste a trouvé sa voie. En 1929, ses toiles font cimaises communes avec les tableaux des plus grands peintres tels que Léger, Kandinsky ou Mondrian. Certains artistes, croisés alors qu’elle n’est qu’une modeste élève, deviendront ses amis les plus proches, comme Marcoussis, Picasso, Chagall, Le Corbusier et toute la bande d’Aragon.

Nadia fait partie du sérail. Installée dans une soupente, elle crée avec ses propres deniers la revue franco-polonaise L’Art contemporain à laquelle collaborent Mondrian, Léger, Arp, Ozenfant et des artistes polonais du groupe a.r. (artistes révolutionnaires).

Malevitch a mis un point final à la longue et admirable route de l’art pictural. Je suis tombée dans un gouffre. J’ai cru mourir.

Couverture de la revue L’art contemporain (1929), créée par Nadia, conservée à la Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet.

Nadia, peintre de l’avant-garde

Sur un plan plus personnel, le destin de Nadia va basculer. Mère d’une petite Wanda, née à Paris en 1927, Nadia se sépare de son mari. Pour survivre, la vente de quelques toiles ne suffit pas. Elle est femme de ménage. C’est également à cette époque qu’elle quitte Ozenfant pour devenir l’élève de Fernand Léger. Dans une mansarde sombre de la rue Valette où réside la jeune femme, Fernand (47 ans) et Nadia (24 ans) commencent une relation. Ils se marieront trente ans plus tard.

Je m’en suis sortie que grâce à vous (Fernand Léger). Votre foi en l’avenir de la peinture est comme une corde lancée pour me sauver. Mais où dois-je aller maintenant ? Où est donc le chemin menant à l’art futur ?

Le couple Léger

1930
1935

En ce début des années trente, bien qu’ils soient par ailleurs tous deux mariés, Fernand et Nadia forment un couple. Dès 1933, Fernand Léger lui confie son Atelier qui jouit d’une réputation internationale. Elle en sera l’assistante puis la directrice jusqu’à sa fermeture en 1951. Nadia sera pendant près de vingt ans l’âme de cet extraordinaire laboratoire de la Modernité.

Fernand Léger, devenu l’un des peintres français les plus célèbres au monde, croit en son talent et la tient en haute estime. À Paris, en l’absence duMaître, c’est elle qui donne les cours de dessin. À ce sujet, certains clichés de Robert Doisneau sont éloquents : en blouse grise,Nadia prodigue conseils et encouragements à de jeunes élèves, dont un certain Nicolas de Staël. Elle se consacre avec ardeur à son oeuvre, tout en continuant à seconder Léger dans ses grands travaux collectifs.

Peinture réalisée par Nadia Léger, Jouets de ma fille dans l’espace, 1932, huile sur toile.

Le style Nadia

Nadia consacrera toute sa vie au travail de Fernand Léger. Mais, dans l’ombre du Maître, au lieu d’être étouffée, l’artiste libère son pinceau. Nadia peut non seulement transmettre mais plus encore traduire dans son oeuvre personnelle ce que lui ont enseigné Malévitch,Ozenfant et Léger. Désormais elle maîtrise le « choc des contrastes » et forge sa propre méthode créatrice. Les aplats de couleurs sur fond de racines, le traitement du visage et des mains révèlent une toute nouvelle approche émancipée du suprématisme, du cubisme et du purisme.

A vous de faire de même et de dire “zut” à Léger.
J’ai dénoué mon imagination au moyen de formes anti-géométriques dans l’espace.

Militante et résistante

1936
1945

A son retour du front suite à sa réforme, il habite avec Jeanne Lohy à Vernon (Normandie). Il l’épouse en 1919. Lors du banquet organisé en l’honneur de Braque chez Marie Vassiliev, il retrouve Picasso et Cendrars. Puis il participe au premier festival « Montjoie ! » organisé pour célébrer le retour de la guerre des artistes.

En 1918, il signe un nouveau contrat avec Léonce Rosenberg qui tient la Galerie de l’Effort Moderne.

Au service du front populaire

En mai 1936, Nadia, Fernand et les élèves de l’Atelier Léger défilent place de la Nation pour célébrer la victoire du Front populaire. Nadia n’a jamais fait mystère de son engagement. Dès 1933, elle prend sa carte du Parti communiste tandis que Fernand se définit comme un humaniste de gauche. Avec AndréMalraux, Louis Aragon, Paul Eluard, André Masson…, il fait partie de ceux qui veulent réconcilier l’art et le peuple.

Nadia, pinceau en main, mobilise l’atelier pour réaliser fresques et panneaux muraux en collaboration avec Charlotte Perriand. Mais en cette fin des années trente, l’euphorie est de courte durée. L’orage gronde et « l’art populaire accessible à tous » laisse place aux bruits de bottes.

Tant qu’il restera ne serait-ce qu’un soldat allemand sur le sol français, c’est la guerre !

Dès 1940, Fernand Léger se réfugie aux États-Unis et y restera quatre ans. Nadia décide de rester en France avec sa fille. Elle rentre dans la clandestinité et dans la Résistance. Teinte en blonde platine, munie de faux papiers, elle sera agent de liaison sous le nom de Georgette Paineau, affiliée à un réseau des FTP-MOI.

Entre interrogatoires et perquisitions, elle s’en sort de justesse et vit au rythme des planques et des filatures. Pendant toute l’Occupation, dans l’atelier déserté et glacé de Montrouge, elle ne cessera de peindre. Ses oeuvres aux couleurs éclatantes sont un défi à la mort. Elle conçoit une série d’autoportraits et de portraits de Fernand Léger.

La France libérée, Nadia rouvre l’atelier et prépare le retour de Fernand Léger.

Fernand Léger et son coq rouge, 1942, huile sur toile.

L’art de la propagande

1945
1950

Sans être son ami intime, Picasso a toujours soutenu Nadia, militante ou artiste. Leur première rencontre a lieu en 1945. Nadia organise une vente aux enchères au profit des prisonniers de guerre soviétiques. Avec audace, elle se rend chez Picasso : « Choisissez ce que vous voulez parmi mes tableaux. Et prenez-en autant que vous voulez ! » lui lance Picasso. Nadia n’en revient pas. Elle prend trois huiles. En cette période d’après-guerre, aucun peintre sollicité ne peut refuser ce que Picasso a accepté. Grâce à Picasso, Nadia rassemble 150 toiles (Braque, Matisse…) vendus au profit de l’Armée rouge. C’est un succès. De cette première rencontre naît une complicité, voire même une camaraderie.

Quelques mois plus tard, en l’absence de Fernand Léger toujours aux États-Unis,Nadia se rend à nouveau dans l’atelier de Picasso, rue des Grands-Augustins. Cette fois-ci, elle sollicite son avis. Le PC a confié à Nadia la réalisation des portraits et décors monumentaux de ses grands meetings. Face à l’importance de la mission, Nadia soumet à Picasso une vingtaine de portraits à la gouache. Verdict : « Vous attirez le regard par une image intelligible, vous l’obligez à percevoir une forme expressive inhabituelle. » Adoubée par Picasso, Nadia réalisera des dizaines de portraits monumentaux de Thorez, Staline ou Lénine qui orneront toutes les grand-messes du PCF de l’après-guerre. Plus de 70 ans plus tard ses portraits iconiques restent d’une extraordinaire modernité dans un style qui pourrait avoir inspirer Obey et son célèbre portrait bichromie d’Obama : Hope.

Les nombreux portraits réalisés par Nadia décorent le Xe congrès du Parti Communiste Français de juin 1945.

Je peignais depuis longtemps mais c’était la première fois que je voyais autant de mes portraits réunis dans un même lieu et pour la plupart représentant des héros qui avaient fait le sacrifice de leur vie.

Une nouvelle artiste

1950
1960

Actrice majeure de la scène artistique depuis les années trente, Nadia n’est que très rarement citée dans la presse de l’époque, et de nos jours, les historiens continuent à mal évaluer son rôle. Nadia est confinée dans son statut d’animatrice de l’Atelier Léger. Sa proximité avec Fernand Léger se fait au dépend de sa propre notoriété. Pourtant, elle n’a jamais cessé de peindre. En février 1952, Nadia Khodossievitch épouse Fernand Léger, formalisant une liaison commencée en 1927.

En devenant Madame Léger, Nadia va s’émanciper. En novembre 1953, elle expose 75 nouvelles oeuvres à la galerie Bernheim-Jeune. Louis Aragon se fend d’une critique élogieuse : « On peut discuter les toiles, il faudra reconnaître dans l’entreprise de Nadia Petrova-Léger une audace assez singulière, une décision qui emporte l’estime. »

Le paradis de demain, ce sera l’usine belle comme un palais, et l’ouvrier en sera le prince charmant.

Fernand Léger

Si le catalogue de l’exposition Bernheim-Jeune ne reproduit que quatre huiles, la quasi-totalité des oeuvres qui y étaient exposées ont été retrouvées. Les Mineurs, inspirés par les exploits de Stakhanov. Par son format et par la tranquille puissance qui en émane, le tableau pourrait faire penser à une oeuvre de Fernand Léger.

Dans les années 1950, elle «adapte» et se réapproprie le réalisme socialiste dans des tableaux comme Les Mineurs ou Les Constructeurs, de grands formats en aplats colorés, dans la veine de Fernand Léger.

Une imposante toile, intitulée La Paix, inspire à Fernand Leger ce commentaire : « Il y a là une joie naturelle, une santé physique qui me plaît. » Quant aux Musiciens Tadjiks, c’est cette toile que Louis Aragon, l’ami des plus grands peintres, choisit d’accrocher dans son bureau.

Nous avons demandé à nos écrivains, à nos philosophes, à nos peintres, à nos artistes, de se battre sur les positions idéologiques et politiques de la classe ouvrière. Aux œuvres décadentes des esthéticiens bourgeois […] nous avons opposé un art qui s’inspirait du réalisme socialiste et serait compris de la classe ouvrière, un art qui aiderait la classe ouvrière dans la lutte libératrice.

Maurice Thorez, XIIième congrès du PCF, 1950

Retour au suprématisme

1960
1975

Trois ans après son mariage avec Nadia, Fernand Léger s’éteint le 17 août 1955. Unique héritière du peintre, elle destine son immense fortune à la mémoire de Léger. Pendant plus d’une décennie, Nadia se consacre exclusivement à l’édification du musée Fernand Léger de Biot, donné à l’État en 1967, puis à la Ferme-Musée de Lisores, inaugurée en 1970. Nadia Léger se lance dans une nouvelle aventure : le retour au suprématisme.

En 1961, l’exploit de Gagarine a provoqué chez Nadia un choc cosmique. Elle y voit l’accomplissement d’une prophétie. Dans un vaisseau Spoutnik, Gagarine est le premier homme à effectuer un vol dans l’espace et à effectuer une orbite autour de la Terre. Toutes ces formes de fusées, de capsules, toutes ces lignes de cheminement cosmique ne sont-elles pas la concrétisation spatiale des travaux de son premier maître Malévitch ?

Morts en mission, les nombreux cosmonautes sacrifiés sont les chevaliers du ciel qu’elle sublime en martyrs du cosmos. Sous le pinceau de Nadia, sur fond de carrés, triangles profilés, ou cercles, les visages des cosmonautes sont sanctifiés d’une auréole suprématiste. Réalisées entre 1965 et 1972, ses oeuvres suprématistes sont alors incomprises, voire même décriées par ses contemporains. Aujourd’hui, les « formes dans l’espace » de Nadia Léger sont appréhendés comme les maillons d’un cheminement artistique qui a traversé le XXsiècle.

A mon avis, Malevitch avait prévu notre époque actuelle cinquante ans en avance car notre époque actuelle est celle du véritable dynamisme et du mouvement dans l’espace.